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2005
Lorraine Millot, La Russie met du Warhol dans son pop., Libération, 29.09.2005, Paris / Париж

L'expo commence par une marmite verdâtre, qui sent bon la cantine soviétique, et s'achève sur un mur de photos avec des numéros, les «aspirants», portraits tous semblables et différents de gens venus se présenter à un casting. A l'occasion d'une grande rétrospective Andy Warhol, la nouvelle galerie Tretyakov de Moscou tente un beau pari : démontrer qu'en Russie aussi, il y eut un pop art, qui serait même aujourd'hui encore bien vivant. «Même si cela ne ressemble pas à ce qu'ont produit les Américains, cela ne veut pas dire que ce que vous voyez ici n'est pas du pop art, prévient Andreï Erofeev, le père de cette exposition, qui a rassemblé des oeuvres longtemps restées confidentielles. La problématique des artistes que nous montrons ici est la même : ils partent de l'objet usuel, le plus banal qui soit, et font ressortir ses réserves cachées de sens ou d'émotion.»

Sol carrelé. Même s'il n'y avait en URSS ni soupe Campbell, ni Coca-Cola, dès les années 1960, une poignée d'artistes comme Mikhaïl Roginsky ou Boris Touretsky ont commencé à peindre ou assembler sur leurs tableaux les objets du quotidien soviétique. En 1965, Roginsky peint un sol carrelé, un mur avec une prise électrique ou encore une célèbre «porte rouge», avec poignée, barbouillée de couleurs criardes.

A partir des années 1970, d'autres explorent le filon : Leonid Sokov sculpte au burin une énorme bouteille de vodka ou des esturgeons en bois, les produits de rêve du citoyen, qui avaient pour particularité d'être toujours manquants. Alexandre Kosolapov imagine une énorme poignée de porte et un loquet. Emigré en 1975, comme beaucoup des artistes exposés, Alexandre Kosolapov continue depuis New York l'introspection des passions russes, avec un immense mur de boîtes de caviar ou une «icône caviar» (1989) : à l'intérieur du cadre doré, une masse de petits grains noirs occupe la place habituelle des saints orthodoxes.

Une section «néo-pop art» montre aussi que, dès les années 1970, plusieurs Russes ont fait des clins d'oeil aux modèles américains, qu'ils connaissaient grâce à quelques revues entrées plus ou moins clandestinement. En 1975, Mikhaïl Rochal signe un Hi, Andy ! qui, en lieu et place de la soupe Campbell's d'Andy Warhol, propose un bocal de borchtch, la soupe ukrainienne traditionnelle, d'une couleur marron-mauve bien fatiguée sur fond orange. En 1990, Avdei Ter-Oganian se lance lui aussi dans une série de soupes façon russe : boîtes cabossées, rouillées, couleurs délavées, inscriptions devenues illisibles...

La partie la plus imposante de l'exposition est toutefois occupée par les artistes contemporains qui continuent à faire vivre quelque chose d'apparenté au pop art. Les célèbres Nez bleus (Viatcheslav Mizine et Alexandre Chabourov) ont tourné un pastiche du film d'action russe typique, où l'on voit deux agents du FSB canarder sans discontinuer, pour sauver le pays d'une menace imaginaire (l'Amérique sans doute). Inspirée par le soin extrême des femmes russes pour leur apparence, Elena Berg réalise, elle, des tableaux uniquement à base de faux ongles, tous nacrés ou roses, impitoyablement alignés les uns à côté des autres.

De cette réponse russe à Andy Warhol, la galerie Tretyakov a délibérément tenu à l'écart les oeuvres politiques, généralement regroupées sous le nom de «soc-art» : «Nous leur consacrerons une exposition spéciale, l'année prochaine», promet Andreï Erofeev, qui affirme avoir voulu donner cette fois la place à des travaux moins connus. De fait, beaucoup de monde se presse ces jours-ci à la Tretyakov, même si tous ne sont pas encore convaincus.

«Spectacle de foire». «Ce n'est pas une exposition, c'est une pure attraction, un spectacle de foire», a attaqué le quotidien Vremia Novosteï, soupçonnant le lieu d'avoir voulu «exprimer là tout ce qui fait mal» et «montrer tout ce qui est accumulé», faute de musée d'art contemporain à Moscou. «L'exposition ne répond pas à la question de savoir s'il existe ou non un pop art russe, estime aussi le galeriste Marat Guelman. Mais elle donne pour la première fois un regard sur un art méconnu des années 1970, 80, 90 et, en cela, elle est très importante.»

MILLOT LorraineAndy Warhol / le pop art russe Nouvelle galerie Tretyakov, Moscou. Jusqu'au 13 novembre, http://www.tretyakov.ru/www.tretyakov.ru (site en russe et anglais)

Источник: www.liberation.fr

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